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Après l’arrivée d’Ava et de Ruderi dans la villa de Nogent, l’équipe de pisteurs s’acquitta de sa tâche avec son efficacité habituelle. Oleg put en apprécier le résultat le soir même. Tout un jeu de photographies apparut sur l’écran de son ordinateur. Il cliqua de l’une à l’autre, détaillant une série de nouveaux visages sur lesquels il ne pouvait pas encore mettre de nom : deux hommes qui ressemblaient à Ruderi comme des frères, plus une jeune femme rousse, sans oublier un sexagénaire à la mine lugubre. Tous avaient rejoint Ruderi et Ava en début de soirée. Pas de Marcus en vue.
Oleg dut fragmenter son équipe pour obtenir davantage de renseignements. Le lendemain matin, un des deux « frères » de Ruderi, le plus âgé, prit place à bord d’une Mercedes en compagnie de la jeune femme rousse, laquelle avait enfourné deux lourds sacs de voyage dans le coffre. La voiture était pilotée par le sexagénaire, qui semblait faire office de domestique. Numéro 1 les fila à moto. Oleg grimaça en apprenant que le trio s’était dirigé vers le Xe arrondissement de Paris, aux abords immédiats de l’hôpital Saint-Louis, à l’endroit même où il se faisait soigner, pour pénétrer dans un magasin… de pompes funèbres. Manifestement, ils en assuraient la gérance. Ruderi et Ava, quant à eux, firent la grasse matinée, avant de quitter la villa vers midi, à pied, bras dessus bras dessous, en direction de Joinville. Numéro 3 leur emboîta le pas jusqu’à la guinguette Chez Gégène, où ils s’attablèrent, insouciants, devant une friture de goujons et une bouteille de gros-plant. Sur la piste de danse, quelques couples de retraités enchaînaient gaillardement tangos et paso doble au son de l’accordéon. Ruderi avait acheté une boîte de cigares et savourait le spectacle en crachant des ronds de fumée. Ava se lima puis se vernit consciencieusement les ongles. Vers quatorze heures enfin, le deuxième frère de Ruderi, escorté par Numéro 4, quitta à son tour la villa, gagna la station du RER et se rendit à Paris, dans une librairie située au fond d’une impasse qui donnait dans la rue Oberkampf.
La voie était libre. Oleg disposait de plus d’une heure au moins avant que l’un ou l’autre des occupants de la maison ne puisse venir le déranger. Il savait déjà qu’elle appartenait à un certain M. Jacob. Son nom figurait dans l’annuaire consultable par Minitel. En compagnie de Numéro 5, qui ouvrit les serrures sans aucune difficulté, il s’introduisit dans la villa. Chacun d’eux portait un sac contenant plusieurs charges explosives dont on pouvait actionner la mise à feu à distance à l’aide d’une commande radio. Oleg ne savait pas encore si elles seraient utiles ou non. Il s’agissait d’une simple précaution : disposer de moyens qui permettaient de mettre l’adversaire aux abois, de le terroriser. Il demanda à Numéro 5 d’effectuer une visite rapide des chambres situées à l’étage, et s’attarda au rez-de-chaussée. Il inspecta le mobilier, passa quelques instants près de la véranda, puis, fatalement, son regard fut attiré par l’escalier qui s’enfonçait dans le sous-sol. Il s’y engagea.
Ses doigts trouvèrent sans peine le commutateur qui commandait les rampes de néon. La cave s’illumina. Comme Anabel l’avait fait avant lui, Oleg s’avança d’un pas prudent le long des travées, examina les couvertures des volumes entassés sur les étagères, levant les yeux vers les plus hautes d’entre elles, déchiffrant les titres, un à un, tout du moins les plus accessibles, et poursuivit sa progression vers le fond de la salle. La teneur de cette foisonnante documentation le laissa perplexe. Il fit le même chemin à reculons et retrouva Numéro 5 au rez-de-chaussée. Celui-ci n’avait rien déniché d’intéressant, à l’exception de la présence d’une arme de poing dans une des chambres. Oleg décida de placer les charges explosives dans la bibliothèque souterraine. Le fouillis phénoménal qui y régnait fournissait autant de caches indétectables. Les centaines et les centaines de kilos de papier entassés là constituaient un combustible idéal. L’incendie remonterait du sous-sol, ravageant tout sur son passage. La tâche ne leur prit que quelques minutes. Les deux hommes quittèrent la villa sans avoir laissé de traces visibles de leur visite.